vendredi 9 mars 2012

Pourquoi j’écris de plus en plus en arabe ?


 A cette question aux relents fortement égocentriques, certains esprits clairvoyants pourraient répondre par un « qu’est-ce qu’on en a à foutre ». Une telle réponse un peu cavalière certes serait néanmoins tout à fait acceptable, moi-même ayant une sainte horreur de tous ces bloggeurs et bloggeuses qui ne voient pas au-delà de leur nombril et qui, à longueur de journée, ne font que parler de la couleur de leur string et autres sujets cruciaux du même acabit.

Plus sérieusement, mon interrogation concernant la langue utilisée pour rédiger mes billets découle du constat objectif suivant : le nombre des lecteurs des billets libellés en arabe est nettement plus important que celui de ceux rédigés dans la langue de Molière. Cette statistique n’est pas propre à mon seul blog puisqu’elle est confirmée par une tendance générale qui traverse l’ensemble de la blogosphère tunisienne et qui fait que les blogs arabophones (qu’ils soient en arabe littéral ou dialectal) semblent, ces derniers temps, avoir la cote auprès des lecteurs plus que leurs homologues rédigés en français.

Est-ce qu’il s’agit d’un simple effet de mode ? Ou bien est-ce que c’est une des conséquences insidieuses de l’islamisation rampante de la société tunisienne et dont l’arabe est la langue de prédilection ? Il est difficile de se prononcer sur la chose d’autant plus que la blogosphère tunisienne elle-même n’est plus ce qu’elle était et l’échantillon des blogs qui sont encore actifs n’est pas assez représentatif pour pouvoir tirer des conclusions pertinentes. Ce qui est sûr en revanche c’est que la langue française en particulier et les francophiles en général ne sont plus en odeur de sainteté au sein de la société tunisienne postrévolutionnaire. La francophonie est même devenue une insulte dans la bouche de certains puisque les amoureux de la culture française sont accusés d’être une sorte de cinquième colonne œuvrant pour servir les intérêts de l’Etat français et pour propager la laïcité et l’athéisme. Il faut avouer que l’attitude ambigüe des autorités françaises vis-à-vis de la révolution tunisienne y est pour beaucoup.

Nos gouvernants actuels semblent également allergiques à la langue française car elle représente à leurs yeux cette Tunisie moderniste et « libérale » qui s’oppose farouchement à leur modèle de société teinté de conservatisme et dont les inspirations sont plutôt orientales. L’exacerbation des tensions autour de cette question linguistique a même poussé le sex-symbol de la prédication islamiste frère Tariq Ramadan à se prononcer sur le sujet lors de sa visite médiatique à Tunis en appelant les autorités et le peuple tunisien à préserver le bilinguisme car il constitue indubitablement une richesse et non une aliénation comme certains esprits rétrogrades se plaisent à le faire croire.

Cette polémique autour de l’arabe et du français n’est pas nouvelle sous nos cieux. Il est d’ailleurs bon de rappeler que l’arabisation de l’éducation nationale a été initiée en Tunisie par Mzali et elle a été renforcée avec Ben Ali ce qui a grandement contribué à la paupérisation de l’enseignement et à la bâtardisation linguistique des écoliers et des étudiants à tel point que beaucoup d’entre eux quittent les bancs de l’université ne sachant même pas formuler correctement une phrase en français (ni même en arabe d’ailleurs).

 
L’échec cuisant de cette expérience semble avoir échappé à la sagacité de nos actuels dirigeants puisque dernièrement le ministre de l’éducation vient de déclarer que l’arabisation à outrance de l’enseignement est une priorité du gouvernement. De telles déclarations sont de nature à nous rassurer sur l’avenir scolaire de nos jolies têtes brunes et il est certain que les écoles privées qui dispensent des programmes dans lesquels les langues étrangères sont bien présentes ont encore de beaux jours devant elles. Tant pis donc pour les petits tunisiens issus des classes populaires et dont les parents n’ont pas les moyens de les inscrire dans de telles écoles. D’ailleurs pourquoi ont-ils besoin d’apprendre les langues étrangères ? L’apprentissage de l’arabe suffit amplement pour en faire de bons petits soldats de la foi qui œuvreront énergiquement à la lutte contre le vice et à la promotion de la vertu.

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