Pour
une grande partie de la population tunisienne et malheureusement pour certaines
de ses élites la démocratie se limite à l’organisation d’élections (plus ou
moins transparentes) et une fois les résultats annoncés, le ou les partis
politiques victorieux ont le droit de gouverner dans l’impunité absolue. Toute
critique à l’encontre des partis au pouvoir, qu’elle émane de la presse ou de
l’opposition est considérée comme une trahison envers la Tunisie « qui se
lève tôt et qui travaille » et un blasphème à l’égard de la vérité
gouvernementale.
La
conscience de nos peuples a tellement été marquée par le sceau des dictatures
successives qu’il leur est devenu impossible de concevoir l’existence, sous nos
cieux, d’une société pluraliste dans laquelle les avis divergents peuvent
coexister sans que les accusations de traîtrise et d’apostasie ne fusent de
part et d’autre.
En
vérité la relation entre une grande partie de la population et le pouvoir
s’inscrit encore dans le cadre de ce célèbre adage tunisien « que dieu
bénisse notre seigneur ». Aussi bien les « citoyens » que les
élites politiques semblent avoir intériorisé la philosophie servile qui
imprègne cette locution proverbiale à savoir que celui qui gouverne doit
impérativement être porté aux nues et ses louanges doivent être chantées par la
population dans son ensemble. Toute voix discordante qui refuse de participer
au concert des laudateurs doit être dénoncée et annihilée.
Alors
que dans les pays de longue tradition démocratique les dirigeants politiques
sont perçus comme de simples serviteurs de l’Etat et de la communauté
nationale, chez nous on se comporte encore vis-à-vis d’eux comme si on était
leurs débiteurs ou leurs obligés. Pour le petit peuple celui qui gouverne est
une sorte de messie salvateur investi d’une mission sacrée et à ce titre il est
nécessaire de lui montrer du respect et de la gratitude.
Cette
attitude complaisante est le terreau propice à toute rechute dictatoriale
contre laquelle le peuple n’est pas immunisé étant donné qu’il ne dispose pas
encore des anticorps naturels que sont l’esprit critique
et l’implication active dans la chose publique.
Le
danger est encore plus grand dans le cas tunisien, où certains contestent déjà
avec virulence le concept même de démocratie et proposent de le remplacer par
celui, plus islamiquement correct de « choura ». Ce dernier dont la
définition demeure encore objet de tiraillements entre les diverses écoles
théologiques, implique une adhésion presque totale du peuple envers le chef (il
n’y a pas de consensus théologique sur la possibilité de contester l’autorité
du chef désigné par la choura au cas où ce dernier se transforme en despote).
Il est d’ailleurs bon (et inquiétant) de rappeler que dans la choura le mandat
du chef ne s’achève que par la mort. Son mandat électif est ad vitam eternam ce
qui doit faire rêver plus d’un.
Cet
état des lieux succinct de la jeune expérience démocratique tunisienne peut
paraître pessimiste mais en vérité il aurait été stupide de croire qu’une
société qui a vécu pendant des siècles sous le joug de la dictature puisse du
jour au lendemain, et après une révolte de trois semaines, devenir un modèle d’ouverture
et de pluralisme. La démocratie a ceci de particulier qu’elle ne se décrète pas.
Elle est obligatoirement le fruit d’un processus long et complexe et malheureusement
beaucoup de tunisiens semblent déjà avoir perdu toute patience en la matière.
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