Au
début des années soixante-dix, la société égyptienne était considérée comme
l’une des plus modernes du monde arabe. Le régime nassérien, malgré ses
nombreux travers, avait néanmoins réussi à insuffler un élan moderniste à l'Égypte. La vie culturelle, baromètre infaillible de la bonne santé de toute
société humaine, s’était épanouie nonobstant la répression exercée par le
régime et même aujourd’hui lorsque les intellectuels égyptiens évoquent cette
époque c’est souvent avec une sincère nostalgie.
Malheureusement l'Égypte actuelle n’a strictement plus rien à voir avec ce qu’elle était du
temps de Nasser. En l’espace de quarante ans, la société égyptienne s’est
irrémédiablement engagée sur la voie de l’islamisme radical. En effet, la
politique laxiste de Sadate vis-à-vis des mouvements islamistes leur a permis
de diffuser leur idéologie au sein de la société notamment auprès des
populations pauvres, chose qui leur était interdite auparavant. De même, la
révision des manuels scolaires sous l’impulsion des islamistes et avec la
complicité tacite du nouveau régime à contribuer à l’endoctrinement des jeunes
générations. Enfin, la pénétration du wahhabisme saoudien dans l’environnement égyptien,
par le biais des travailleurs émigrés, a revigoré le renouveau islamiste au
sein du pays tout en lui conférant encore plus de radicalité.
L’un
des symboles les plus éloquents de ce raz-de-marée islamiste a été l’obtention,
dans les années quatre-vingt-dix, par un groupe d’avocats d’une décision
judiciaire imposant au célèbre penseur égyptien Nasr Hamid Abu Zayd de divorcer
de sa femme. Les avocats en question avaient considéré qu’au vu de ses écrits,
Abu Zayd s’était rendu coupable d’apostasie et que par conséquent il n’avait
plus le droit de rester marié avec une femme musulmane. La justice égyptienne a
adhéré à cet argumentaire juridico-religieux et a prononcé l’annulation du
mariage ce qui a contraint Nasr Abu Zayd et son épouse à l’exil.
Je
ne sais pas pourquoi mais l’affaire Nessma qui est passée en jugement cette
semaine m’a rappelé l’affaire Abu Zayd toutes proportions gardées bien entendu
(Nabil Karoui n’est ni un intellectuel, encore moins un libre penseur ce n’est
qu’un petit marchand du temple médiatique). En vérité, j’ai peur de voir le
scénario égyptien se répéter en Tunisie avec la montée en puissance d’un
islamisme revanchard qui va s’acharner à judiciariser la vie intellectuelle et
culturelle pour imposer son idéologie à l’ensemble de la société.
Ainsi,
les libertés et les droits individuels que les tunisiens ont commencé à
s’approprier après plus de cinquante ans de dictature (et même ceux qu’ils ont
toujours eu) risquent d’être remis dangereusement en cause. Aux premiers jours
de la révolution tunisienne, certains commentateurs l’ont comparée à un film
épique grandiose. Espérons qu’aujourd’hui elle ne va pas se métamophoser en un
mauvais feuilleton égyptien.
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