Il
y a quelques années de cela le professeur Slim Laghmani avait écrit un
excellent article sur le rapport malsain qu’entretiennent les peuples arabes
avec leur patrimoine historique et culturel. En effet, alors que les autres
peuples portent un regard plus ou moins apaisé sur leur histoire ce qui leur
permet de la disséquer de manière objective et dépassionnée, nous continuons à
vivre notre histoire comme une réalité quotidienne d’une grande acuité.
Se
réfugier dans les méandres de notre histoire est une solution de facilité à
laquelle beaucoup d’entre nous recourent pour se dérober aux problèmes épineux
que pose la société moderne. En plus de cette fonction
« échappatoire », l’évocation d’un passé glorieux (même fantasmé)
permet également de panser les nombreuses blessures narcissiques causées par
l’insolente réussite d’un occident encore perçu comme mécréant.
Certains
sont émus jusqu’aux larmes quand ils évoquent la perte de Grenade et de
l’Andalousie. D’autres selon qu’ils soient sunnites ou chiites se tordent
littéralement de douleur lorsqu’ils se remémorent le supplice du théologien Ibn
Hanbal ou l’épisode sanglant de Karbala.
Cette
absence totale de distance vis-à-vis d’événements historiques qui datent de
plusieurs siècles explique la schizophrénie identitaire d’une partie importante
de la population tunisienne pour qui le passé se conjugue irrémédiablement au
présent. Telles certaines peuplades amérindiennes ou polynésiennes nous
continuons à vivre au quotidien avec des ancêtres السلف)) qu’on a malheureusement érigés au rang de totem.
Cela
dit je n’aimerais pas que mon propos soit interprété de manière erronée comme
étant une invitation à se détourner de notre histoire ou à la dénigrer
arbitrairement. Il serait d’ailleurs stupide et contreproductif de dénoncer un
excès tout en œuvrant à consacrer un autre. Ma présente analyse a uniquement
pour objet de décortiquer cette aliénation névrotique qui ronge nos sociétés et
qui pousse un futur premier ministre à se référer à des concepts politiques
éculés.
Alors
que les autres peuples avancent grâce à l’accumulation du savoir et des
expériences, nous on continue paradoxalement à évoluer dans une sphère close et
hermétique à toutes velléités de changement. C’est comme si la parenthèse
moderniste du 19ème et du début du 20ème siècle n’avait
jamais existé. Ainsi, nos supposées « élites » politiques continuent
à invoquer le califat sans aucune approche critique et on faisant fi de
l’ensemble des travaux des penseurs réformistes à l’instar de Ali Abderraziq, Kheireddine
Pacha ou encore Ibn Abi Dhiaf pour ne citer que ceux là.
Les
déclarations de Monsieur Jbali ne sont qu’un symptôme révélateur d’un mal plus
profond. Ce mal n’est autre que la faillite calamiteuse du système éducatif
tunisien qui n’a pas réussi au cours des cinquante dernières années à doter les
générations successives d’écoliers et de lycéens des outils nécessaires à
l’exercice de la pensée critique.
Tous
ces discours pompeux sur la réussite du modèle éducatif tunisien ne sont en
réalité que de vaines paroles avec lesquelles une certaine élite bien pensante aime
se gargariser. Mais la triste réalité que beaucoup refusent de voir c’est que
ce système n’a pas réussi à forger des esprits libres et cultivés capables de
faire face à la dictature et à l’obscurantisme d’où qu’ils proviennent car
comme le disait si bien Edouard Herriot : « la culture c’est ce qui
reste quand on a tout oublié. »
2 commentaires:
Excellent article. J'aurais voulu ne pas le valider mais malheureusement, c'est la triste réalité qui ne touche pas que la Tunisie mais bien l'ensemble des peuples du Maghreb. Ce que j'ose espérer, c'est que la liberté de pensée puisse ouvrir les voies à des critiques nécessaires pour sortir de ce carcan qui nous étouffe et qui ait de nous, les prisonniers d'un passé pas aussi angélique qu'on aimerait qu'il soit. Je m'en vais le rajouter pour lancer la réflexion sur la page facebook http://facebook.com/peuplesdumaghreb . Merci pour cet article qui n'a rien e provoquant et qui vient nous rappeler que le Monde bouge.
@Tahar
Merci pour vos belles paroles. Sinon je suis moins optimiste que vous pour ce qui est de l’avenir de nos peuples. Les flots du populisme commencent à nous submerger et malheureusement les bouées de sauvetage se font de plus en plus rares.
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