9h30 : Encore une mauvaise nuit de sommeil. J’essaye tant bien que mal de
me lever, mais je ne réussis qu’à soulever péniblement ma tête. Mon corps
endolori semble se rebeller contre ma volonté, décidément je ne m’habituerai
jamais à leur satanée literie.
Je
tente de sonner les domestiques indonésiens puis je renonce. Je ne peux plus
supporter leur visage impassible et leur sourire stupide en plus je suis sûr
qu’ils se moquent de moi derrière mon dos ces enfants de putain.
10h15 : Je décide enfin de me lever encore une journée sans intérêt à
passer. Je fais ma toilette en vitesse et je sors sur le balcon. L’air ici est
toujours sec aucune trace d’humidité. Ces fils de pute de jardiniers n’ont pas
mis l’arrosage automatique en marche comme je leur avais demandé. Ils vont voir
de quel bois je me chauffe.
Avant
à Sidi Dhrif quand je sortais sur le balcon je pouvais contempler Tunis étendue
sous mes pieds conquise et docile. Quel paysage enchanteur, quelle beauté
fascinante. Parfois il m’arrivait de me lever aux premières lueurs de l’aube
pour admirer le spectacle de la ville endormie. Toutes ces maisons qui sommeillaient
paisiblement m’appartenaient. D’un seul petit geste je pouvais avoir droit de
vie ou de mort sur leurs occupants. Une seule de mes paroles suffisait pour
changer le cours d’une existence en bien ou en mal. Le destin était comme de la
pâte à modeler entre mes mains. Bon dieu quel pouvoir, quelle puissance. Mais
voilà tout est fini on dirait même que cela n’a jamais existé, un rêve éveillé,
une pure chimère. Mais qu’est-ce je raconte ? Cela a bel et bien existé je
les ai baisés en long et en large pendant 23 ans. Tous ces fils de bonne
famille et ces technocrates surdiplômés, ils se sont battus comme des
chiffonniers pour avoir le privilège de lécher mes couilles. Ils auraient tué
père et mère pour entendre un mot de bénédiction lancé au détour d’une
conservation. Cela personne ne me l’enlèvera. Ils peuvent me traîner dans la
fange autant qu’ils veulent rien ne pourra effacer l’infamie avec laquelle ils
se sont couverts en s’attachant à mon service.
11h30 : J’allume la télévision mais je l’éteins très vite. Toujours les
mêmes nouvelles déprimantes. Ce qui est sûr c’est que ma chute a secoué toute
la fourmilière. Je les ai tous entraînés avec moi de ce psychopathe de Kadhafi
à cette loque momifiée de Moubarak. Les premiers jours d’exil ils m’ont traité
comme un pestiféré me faisant sentir que je n’appartenais plus à leur petit
cercle fermé. Rien qu’en entendant leur voix je pouvais deviner ce qu’ils pensaient
de moi : il est fini le Ben Ali, il n’a pas su garder son trône qu’elle
mauviette celui là. Mais voilà rira bien qui rira le dernier. Le fou ils l’on
battu jusqu’à la mort comme un vulgaire chien errant et l’autre ils l’ont exhibé
dans une cage avec ses deux fils quelle honte.
14h10 : Dès que je mange, ce maudit mal de ventre me reprend. C’est sans
doute à cause de leurs épices de merde. Qu’est ce que je donnerais pour avoir
une vraie Tastira à l’ancienne. Quand je pense que ces salauds veulent vendre
mes châteaux, ceux-là mêmes que j’ai bâtis avec la sueur de mon front quel
peuple d’ingrats. Mais ils ne paient rien pour attendre. Un jour ils me regretteront.
Mon
dieu pour quoi ils sont si haineux qu’est-ce que je leur ai fait à ces
ignorants pour qu’ils me détestent autant ? Toute ma vie j’ai œuvré pour
leur bien, pour un pays ouvert et une économie florissante. Ils disent que moi
et ma famille on a volé les caisses de l’Etat en réalité on n’a fait
qu’investir. D’ailleurs si ce n’était pas nous il y aurait eu quelqu’un
d’autre. Les beys et les proches de Bourguiba eux aussi faisaient des affaires
pourquoi c’est seulement à moi et à ma famille qu’on reproche cela alors qu’on
n’a fait que perpétuer une tradition ancestrale.
Ils
disent que j’ai favorisé les membres de ma famille mais si je ne l’avais pas
fait qui l’aurait fait ? Même leurs nouveaux maîtres semblent vouloir
faire la même chose. En Tunisie le plus petit fonctionnaire use du pouvoir dont
il dispose pour favoriser sa progéniture et ses proches et ces merdeux me
parlent à moi de népotisme qu’ils aillent se faire foutre tous si c’était à
refaire je ne changerais rien absolument rien.
15h20 : Il y a trop de lumière dans ce pays. J’ai beau leur demander de
fermer les stores personne ne m’écoute c’est sûrement l’autre qui leur dit de
m’ignorer.
La
Tunisie ne me manque pas je suis bien ici je n’ai besoin de personne. Si
j’avais voulu j’aurais pu commettre un massacre à la 78 et rester en place mais
je ne suis pas comme les autres moi. Oui ils me regretteront, l’histoire
jugera. Peut-être qu’il y a eu des erreurs mais ce n’est pas ma faute c’est
celle de tous ces larbins obséquieux qui me cachaient sournoisement la vérité.
C’est sa faute à elle qu’elle aille au diable avec sa famille de merde.
Ils
me regretteront ces traîtres tous autant qu’ils sont. J’en suis sûr peut-être
même qu’ils me regrettent déjà au fond d’eux-mêmes oui sûrement.