Durant
toute ma vie d’adulte, j’ai adhéré sans réserve à l’affirmation de Winston
Churchill selon laquelle «la démocratie est le pire système de
gouvernement, à l’exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés
dans le passé. »
Cependant,
avec le recul je commence à croire que mon attachement viscéral à ce régime
découlait surtout du fait que j’ai toujours vécu sous la dictature. Assoiffé de
liberté dans le désert de l’oppression politique, j’imaginais la démocratie
comme une sorte d’oasis enchanteresse, un éden insaisissable auquel seuls des
peuples bénis par les dieux des droits de l’homme pouvaient accéder.
Je
pensais naïvement que le jour où la démocratie allait être instaurée en
Tunisie, elle enfanterait un « Ubermensh » tunisien ouvert d’esprit,
respectueux des droits d’autrui, privilégiant l’intérêt national et œuvrant ardemment
à la réussite de son pays.
Cette
image d’Épinal de la démocratie à la scandinave a vite été balayée par la
multitude de comportements inciviques apparus au sein de la société tunisienne
lors de cette phase de transition démocratique.
Malheureusement,
certains de nos concitoyens et de nos hommes politiques n’envisagent la
démocratie que comme un simple outil leur permettant d’asseoir leur hégémonie sur les autres membres de la
société. Vu sous cet angle, une majorité qui a des visées dictatoriales est
plus dangereuse qu’un dictateur esseulé aussi puissant soit-il. En effet, la
majorité peut toujours brandir face à ses détracteurs le glaive de la
légitimité électorale renforcé, dans le cas tunisien, par la référence
constante au divin.
A
cause de l’évolution dangereuse que connaît la Tunisie, mes instincts
démocratiques se sont atrophiés et j’ai commencé à avoir des pulsions
dictatoriales. Ainsi, je me suis surpris dernièrement à lire avec nostalgie la
biographie d’Atatürk et à cautionner certaines décisions controversées du
combattant suprême. Pire encore, je n’arrive plus à me sortir de la tête la
célèbre proclamation de Saint-Juste : « pas de liberté pour les
ennemis de la liberté » c'est-à-dire tous ceux pour qui la seule liberté
permise, est celle de souscrire entièrement à leur idéologie intégriste.
Au
début, j’ai essayé tant bien que mal de surmonter mes fantasmes dictatoriaux,
mais plus les choses se détérioraient dans la société, plus mes pulsions se
renforçaient au point que je me suis mis à rêver d’un assaut laïque violent
contre une Monéda islamiste afin de rétablir l’ordre républicain bafoué.
Certains
esprits conciliants seront peut-être choqués par mes confessions et je les
entends déjà me dire que la démocratie nécessite un long apprentissage et qu’il
faut donc faire preuve de beaucoup de patience. A ceux-là je répondrais en
paraphrasant un de nos proverbes tunisiens, que je ne suis pas disposé à jouer
le rôle de l’orphelin démocratique sur la tête duquel les apprentis dictateurs
vont apprendre la coiffure.
2 commentaires:
Il est, hélas, difficile de résister à ce genre de tentation. Mais, est-on sûr de garantir un sort meilleur en s'en remettant à un quelconque despotisme, fût-il "éclairé" ? Impossible équation, je le crains, qui ne nous laisse guère d'autre que celui d'invoquer un autre proverbe tunisien : كان هزّيتيها تندمي كان خلّيتيها تندمي.
@tunisien
Malheureusement la révolution tunisienne couronnée par le départ du déchu s’est révélée être une victoire à la Pyrrhus.
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