Qu’est
ce qui différencie les expériences démocratiques tunisienne, égyptienne et
marocaine ? Dans les deux derniers cas, le face-à-face entre les
islamistes fraîchement élus et la société civile ne se déroule pas à huit-clos.
Au
Maroc, le roi s’est octroyé une position transcendante qui lui permet d’être le
défenseur de certaines valeurs qu’il juge comme primordiales pour garantir la
stabilité politique et sociale du pays. En Egypte, le conseil supérieur
militaire essaye présentement de s’adjuger une position similaire notamment à
travers l’instauration d’un comité consultatif chargé d’élaborer la future
constitution. Ce comité sera, semble-t-il, pérennisé afin qu’il puisse se
positionner comme arbitre suprême de la vie politique égyptienne.
Les
deux exemples que je viens de citer ressemblent à certains égards à ce que fut
la situation de la Turquie il y a deux
décennies lorsque l’armée jouait le rôle de gardien du temple laïque édifié par
Mustapha Kemal le fondateur de la Turquie moderne.
En
Tunisie ce type de soupape de sécurité n’existe pas et d’ailleurs c’est
précisément pour cela que le soulèvement populaire tunisien mérite d’être
pleinement qualifié de révolution car il a renversé l’ancien régime dans son
intégralité et a conféré les pleins pouvoirs au peuple via l’organisation
d’élections démocratiques.
Cependant
la question se pose de savoir si le peuple tunisien a attient l’âge de majorité
politique et peut donc se passer de tout mécanisme de tutelle permettant de le
guider dans cette phase transitoire si délicate ?
Je
suis sûr que pour certains, le seul fait de poser la question s’apparente à un
crime d’apostasie démocratique mais en vérité je pense sérieusement que passer
d’une dictature de plus d’un demi siècle à l’instauration d’une véritable
démocratie n’est pas une chose aisée car qui dit démocratie moderne dit culture
démocratique or l’enracinement de cette culture dans l’esprit des peuples
requiert du temps et de la patience.
L’exemple
turc, que beaucoup ne cessent de vanter, en est d’ailleurs la preuve éclatante
puisqu’il a fallu presque deux générations pour que la Turquie soit prête à mettre
en place une vraie démocratie émancipée de toute tutelle extérieure. Même si
depuis deux ou trois ans, les choses semblent se détériorer sur le plan des
droits et des libertés au vu des arrestations récurrentes de journalistes et de
militants de la cause kurde.
Quoi
qu’il en soit, même si je pense que la tutelle est une solution qui présente
plusieurs avantages notamment pour des sociétés comme la nôtre où le religieux
se mêle insidieusement au politique. Cependant il y a toujours le risque
qu’elle soit instrumentalisée pour consacrer une nouvelle forme de dictature.
De plus je crois qu’il est grand temps de laisser les islamistes seuls face à
leurs responsabilités afin de briser une fois pour toutes ce tabou tant redouté
de l’islamisme politique. Même si à voir les tribulations diplomatiques d’un
certain cheik dépourvu de toute légitimité électorale, on ne peut s’empêcher de
penser que la tentation d’imposer une tutelle religieuse à la jeune démocratie
tunisienne n’est pas de l’ordre de l’hypothèse farfelue.
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