mercredi 1 février 2012

« Bourguiba dernière prison » ou quand Raja Farhat ressuscite le combattant suprême

En ces temps « révolutionnaires » où les peuples rechignent habituellement à s’attarder sur le passé préférant davantage se tourner vers l’avenir, le dramaturge Raja Farhat s’est essayé, avec sa nouvelle pièce qui relate la vie du président Bourguiba, à un exercice théâtral périlleux en prenant l’opinion publique à contre-pied.

A la question Bourguiba est-il encore d’actualité dans cette Tunisie postrévolutionnaire ? Raja Farhat répond indéniablement par l’affirmative. C’est même le message principal que l’homme de théâtre a tenté de faire passer tout au long de sa pièce.

Dans une mise en scène sobre et subtile, Raja Farhat incarne Bourguiba avec une classe folle et un mimétisme parfait. L’espace d’un instant, le temps suspend son vol et la voix vibrante de l’acteur nous fait voyager dans le temps et nous transporte comme par magie à côté de Bourguiba et de ses compagnons tour à tour dans le Paris des années 20, dans son bagne à Bordj le Bœuf ou encore lors de sa rentrée triomphale au port de La Goulette en juin 1955.

Il faut bien avouer que Raja farhat n’a pas fait dans la demi-mesure, c’est une pièce fleuve (plus de 3 heures) dans laquelle l’acteur ne s’octroie aucun répit puisque toute la pièce repose sur ses seules épaules et même les deux figurants silencieux qui l’accompagnent (son médecin et le gouverneur de Monastir) ne sont présents que pour qu’il puisse faire évoluer le trame de son monologue. Cette implication totale dans le jeu transparaît de manière éclatante, Farhat semble possédé par le personnage du combattant suprême la ressemblance en est même frappante. Le public a d’ailleurs très vite été conquis et on s’est délecté à le regarder égrener avec conviction les épisodes phares de la vie de son personnage dans un crescendo saisissant d’émotions.

Tout au long de la pièce, le Bourguiba de Farhat ne cesse de marteler l’idée selon laquelle la Tunisie est certes petite par sa superficie et par sa population mais elle est grande par son histoire et ses hommes. Bourguiba s’inscrit dans le sillon de cette grandeur. Lui et ses fidèles compagnons qu’il évoque avec une sincère émotion s’étaient fixés une mission presque impossible : celle de créer une nation moderne, éduquée et indépendante. A l’évocation de ce combat pour l’indépendance et la modernité, le public du théâtre municipal n’est pas resté insensible ponctuant à chaque fois les tirades de l’acteur par d’intenses applaudissements notamment lorsque celui-ci a raconté le fameux épisode de l’interdiction de la polygamie et la lutte pour l’émancipation et l’éducation des femmes tunisiennes.
Farhat a donc pris sciemment le parti de ne retracer que les points lumineux du parcours du combattant suprême en passant sous silence les dérives dictatoriales et la fin de règne calamiteuse du vieux leader. La pièce aurait peut-être gagné en profondeur s’il avait daigné aborder les aspects peu reluisants du bourguibisme et qui ne sont d’ailleurs pas étrangers à l’ascension funeste de Ben Ali mais le dramaturge semble avoir trop d’amour et d’admiration pour son personnage ce qui explique sa totale bienveillance à son égard.

Quoi qu’il en soit, et au moment où une certaine frange de la population tunisienne semble séduite par les chantres du conservatisme et de la pensée rétrograde, la pièce de Raja Farhat est plus que jamais d’actualité car elle nous rappelle que les acquis sociaux et culturels sont le fruit d’une âpre lutte menée par de grands penseurs, syndicalistes et politiciens tunisiens. Ces acquis Bourguiba, par la voix de Farhat, nous exhorte d’outre-tombe à les défendre contre les velléités de l’obscurantisme rampant.

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