vendredi 17 février 2012

Panem et predicator (du pain et des prédicateurs)

Au temps de l’empire romain, la politique suivie par les empereurs et la classe régnante pour éloigner la plèbe des affaires publiques et s’assurer ainsi un règne tranquille et prospère consistait à lui offrir un peu de nourriture pour remplir les estomacs affamés et beaucoup de jeux du cirque pour divertir les esprits. Un célèbre poète romain a résumé les attentes du peuple vis-à-vis de ses dirigeants par l’expression « du pain et des jeux » devenue depuis proverbiale.

Selon les historiens, ce diptyque a été une des assises fondamentales de la civilisation romaine et un outil merveilleux de contrôle des masses populaires notamment lorsque celles-ci ne jouissent pas d’un niveau intellectuel et culturel très élevé. En Tunisie, le pouvoir novembriste a lui aussi usé (et abusé) de cette vieille technique romaine pour endormir la population. En effet, lors des dix premières années du règne du déchu, le pouvoir a relativement bien réussi à distribuer les fruits de l’embellie économique et c’est le football qui a fait office de jeux du cirque fonction qu’il a remplie à merveille.

Cependant lorsque la machine économique s’est grippée et que la corruption est devenue une pratique généralisée, le pouvoir a commencé à vaciller et même les jeux du cirque footballistique n’ont plus été suffisants pour occuper les esprits.

Aujourd’hui après un an de la révolution et alors que l’économie tunisienne a encore du mal à redémarrer sur de bonnes bases, il semble bien que le nouveau moyen à la mode pour divertir la populace et détourner ainsi son regard des sujets sensibles, c’est celui des jeux du cirque religieux dont les héros sont des gladiateurs barbus venus chez nous le glaive entre les dents pour en découdre avec ce qu’ils appellent les mécréants progressistes.

Ces show men de la foi sont acclamés par des foules en délire accourues en masse pour se délecter de leurs prêches haineuses et obscurantistes. A la sortie, les spectateurs repartent gonflés à bloc, pétris de certitudes et sûrs d’être du bon côté de la barrière idéologique. Peu importe que l’économie soit encore chancelante, que les vrais défis soient ceux de l’emploi et de la croissance, seules les questions d’ordre théocratique semblent préoccuper les esprits. La Tunisie post-révolutionnaire sera religieuse ou ne sera pas.

Quant aux partisans de la modernité et de l’islam rationnel, ils se retrouvent entraînés dans des polémiques stériles sur des sujets exotiques et secondaires dont la futilité finit par rejaillir sur eux ce qui les fait apparaître aux yeux du petit peuple comme des éternels pleurnichards et des défenseurs invétérés du libertinage et de la nudité. Pendant ce temps là ceux qui ont facilité administrativement et logistiquement la venue sous nos cieux des hérauts de la foi puritaine se frottent joyeusement les mains et se préparent déjà à récolter les fruits électoraux de leur politique de divertissement des masses.

Décidément nos gouvernants actuels sont plus forts que les empereurs romains, ils n’ont même pas besoin de pain pour contenter le bon peuple, les jeux religieux permettent aussi bien de le rassasier que de le divertir.

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