lundi 20 février 2012

« Que dieu bénisse notre seigneur »

Pour une grande partie de la population tunisienne et malheureusement pour certaines de ses élites la démocratie se limite à l’organisation d’élections (plus ou moins transparentes) et une fois les résultats annoncés, le ou les partis politiques victorieux ont le droit de gouverner dans l’impunité absolue. Toute critique à l’encontre des partis au pouvoir, qu’elle émane de la presse ou de l’opposition est considérée comme une trahison envers la Tunisie « qui se lève tôt et qui travaille » et un blasphème à l’égard de la vérité gouvernementale.

La conscience de nos peuples a tellement été marquée par le sceau des dictatures successives qu’il leur est devenu impossible de concevoir l’existence, sous nos cieux, d’une société pluraliste dans laquelle les avis divergents peuvent coexister sans que les accusations de traîtrise et d’apostasie ne fusent de part et d’autre.

En vérité la relation entre une grande partie de la population et le pouvoir s’inscrit encore dans le cadre de ce célèbre adage tunisien « que dieu bénisse notre seigneur ». Aussi bien les « citoyens » que les élites politiques semblent avoir intériorisé la philosophie servile qui imprègne cette locution proverbiale à savoir que celui qui gouverne doit impérativement être porté aux nues et ses louanges doivent être chantées par la population dans son ensemble. Toute voix discordante qui refuse de participer au concert des laudateurs doit être dénoncée et annihilée.

Alors que dans les pays de longue tradition démocratique les dirigeants politiques sont perçus comme de simples serviteurs de l’Etat et de la communauté nationale, chez nous on se comporte encore vis-à-vis d’eux comme si on était leurs débiteurs ou leurs obligés. Pour le petit peuple celui qui gouverne est une sorte de messie salvateur investi d’une mission sacrée et à ce titre il est nécessaire de lui montrer du respect et de la gratitude.

Cette attitude complaisante est le terreau propice à toute rechute dictatoriale contre laquelle le peuple n’est pas immunisé étant donné qu’il ne dispose pas encore des anticorps naturels que sont l’esprit critique et l’implication active dans la chose publique.

Le danger est encore plus grand dans le cas tunisien, où certains contestent déjà avec virulence le concept même de démocratie et proposent de le remplacer par celui, plus islamiquement correct de « choura ». Ce dernier dont la définition demeure encore objet de tiraillements entre les diverses écoles théologiques, implique une adhésion presque totale du peuple envers le chef (il n’y a pas de consensus théologique sur la possibilité de contester l’autorité du chef désigné par la choura au cas où ce dernier se transforme en despote). Il est d’ailleurs bon (et inquiétant) de rappeler que dans la choura le mandat du chef ne s’achève que par la mort. Son mandat électif est ad vitam eternam ce qui doit faire rêver plus d’un.

Cet état des lieux succinct de la jeune expérience démocratique tunisienne peut paraître pessimiste mais en vérité il aurait été stupide de croire qu’une société qui a vécu pendant des siècles sous le joug de la dictature puisse du jour au lendemain, et après une révolte de trois semaines, devenir un modèle d’ouverture et de pluralisme. La démocratie a ceci de particulier qu’elle ne se décrète pas. Elle est obligatoirement le fruit d’un processus long et complexe et malheureusement beaucoup de tunisiens semblent déjà avoir perdu toute patience en la matière.




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